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Origine des vertus et sens des segni dans l'oeuvre de Fiore dei Liberi

 

Le mot vertu vient du mot latin virtus, lui-même dérivé du mot vir. Virtus désigne la force virile et, par extension,

la « valeur », la « discipline » , en opposition à la sauvagerie et à la barbarie.

D'après Le Larousse : « la vertu est la disposition constante de l’âme qui porte à faire le bien. »

 

I. Un savoir théorique

 

A. L'Antiquité grecque : théorisation des vertus

 

La notion de vertu nous est venue des philosophes de la Grèce Antique, qui est le berceau de la civilisation européenne.

 

 

1. Socrate

 

Au Vème siècle avant JC, le philosophe grec Socrate est le premier à évoquer la notion de vertu.

N'ayant laissé aucun écrit, c'est principalement par le biais de son disciple Platon que sa pensée nous est livrée.

 

2. Platon

 

En faisant référence à son maître, Platon invite dans son ouvrage « La République » (livre VIII) à rechercher les vertus pour accéder à la connaissance de l'âme humaine. Parmi elles, il mentionne que le courage et l'ardeur guerrière sont les vertus essentielles des soldats.

 

3. Aristote

 

Au IVème siècle avant JC, son disciple, Aristote, pousse plus loin cette recherche et évoque l'importance des vertus éthiques en les définissant comme un mélange d'émotions, de raisons et d'aptitudes sociales.

Pour lui, toute notre vie doit être consacrée à parfaire les vertus afin d'améliorer notre âme et ceux qui ne croient pas aux vertus sont alors qualifiés de mauvais hommes car incapables d'arriver à l'harmonie intérieure:

« On mène ainsi une mauvaise vie quand on se laisse dominer par des forces psychologiques irrationnelles qui nous entraînent vers des buts extérieurs à nous-mêmes. »

 

 

B. Le Moyen-Age : vers une définition des vertus

 

 

1.St. Ambroise

 

C’est Saint Ambroise, évêque de Milan au IVe siècle (après Jésus-Christ cette fois) qui pour la première fois les nomme « vertus cardinales ».

Suivant le modèle de Socrate, la liste classique des vertus cardinales est la suivante:

  1. Le courage ou « force d'âme » invite à surmonter la peur et à braver les dangers
  2. La prudence indique la conduite raisonnée
  3. La tempérance invite à user de la mesure qui convient dans la jouissance des biens délectables
  4. La justice, enfin, invite à rendre à chacun son dû

Chacune des quatre vertus cardinales que nous venons de nommer trouve son siège dans la sensibilité de l'être humain :

  • Le courage règle la sensibilité combative
  • La tempérance règle la sensibilité jouissive
  • La justice règle la sensibilité rationnelle
  • La prudence règle la sensibilité téméraire

 

2. St. Thomas d'Aquin

 

Mais c'est surtout Thomas d'Aquin qui, au XIIIème siècle, conceptualise réellement la notion de vertus cardinales (du latin « cardo » qui signifie « charnière, pivot »).

Pour lui, tout agissement humain repose sur des dispositions de l'âme que l'on appelle vertus.

La vertu est un avoir acquis et possédé durablement dans l'âme qui favorise chez l'homme le « bon agir ».

 

Dans la classification des vertus, isolons celles qu'il appelle les vertus morales et qui sont au nombre de quatre, à savoir : la prudence, la justice, la fortitude (mélange de force et de courage) et la tempérance.

 

La prudence est la sagesse qui dispose la raison pratique à discerner en toutes circonstances le véritable bien et à choisir les justes moyens de l'accomplir. Cette faculté de « délibérer », c’est-à-dire de peser le pour et le contre implique l’intelligence, sans laquelle il n’y a pas de prudence. D’ailleurs la prudence va de pair avec le courage.

Le courage sans prudence porte un nom bien précis : la témérité. La témérité, c’est le courage qui n’est pas orienté par l’intelligence. La vertu de prudence est fille de la raison et établit la prééminence de la réflexion sur la réaction. Pour parler plus simplement : il faut réfléchir avant d’agir. La prudence c’est donc faire usage de toute son intelligence en vue du bien (cf. l'adage « prudence est mère de sûreté », qui nous est resté de nos jours).

 

La tempérance assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l'honnêteté.

La tempérance est une manière d’être bien ordonnée ; « un empire qu’on exerce sur ses plaisirs et ses passions » nous dit Platon. Il ajoute plus loin : « il y a dans l’âme de l’homme deux parties, l’une meilleure, l’autre moins bonne ; quand la partie meilleure domine la partie moins bonne, on dit de l’homme qu’il est maître de lui-même, et c’est un éloge ; mais quand par le défaut d’éducation ou par quelque mauvaise habitude, la partie moins bonne envahit et subjugue la partie meilleure, alors on dit de l’homme, en manière de reproche, qu’il est esclave de lui-même et intempérant. »

La tempérance peut ainsi être vue comme la maîtrise de soi.

 

La fortitude est nécessaire à la pratique des autres vertus et s'oppose à la faiblesse. Il s'agit d'une faculté qui permet donc de surmonter la faiblesse.

La vertu de force se définit comme étant le courage physique et moral. Ce n’est donc pas une force que l’on destine à écraser autrui, mais à se fortifier soi-même. Saint Ambroise de Milan en parle magnifiquement dans son « Traité sur les devoirs » écrit à la fin du IVe siècle : « c’est à bon droit qu’on parle de courage quand chacun se vainc soi-même, contient la colère, n’est nullement amolli ni fléchi par aucunes séductions, n’est pas troublé par l’adversité, n’est pas exalté par la prospérité et n’est pas entraîné, comme par une sorte de vent, par le tourbillon du changement et de la variété des choses. »

Ainsi, si le courage physique est essentiel, il ne doit pas faire négliger la force d’âme.

Cela implique la lucidité vis-à-vis de soi-même et de ses faiblesses.

S’efforcer de toujours bien agir est d’abord un combat intérieur contre soi-même.

 

La justice, enfin, correspond à la constante et ferme volonté de donner moralement à chacun ce qui lui est universellement dû.

Dans son « Éthique à Nicomaque », Aristote définit cette vertu ainsi: « la justice est l’habitude ou la disposition d’après laquelle l’homme équitable fait, par choix, ce qui est juste, et l’observe non-seulement dans toutes ses transactions avec les autres, mais aussi dans celles où il n’y a que d’autres personnes qui soient intéressées. Ainsi la vertu de justice, comme nous l’avons dit, doit nous animer de l’intérieur, mais elle s’applique à autrui. Elle nous permet d’ordonner nos relations et nos transactions avec les autres en vue du bien. »

De toutes ces vertus, c'est la prudence qu'il présente comme étant la plus nécessaire au bon agir humain.

 

A noter que ces quatre vertus sont également présentes dans le judaïsme hellénistique (Philon d'Alexandrie, IVème livre des Maccabées) et chez les Pères de l'Église ainsi qu'en Asie dans les enseignements de Confucius.

Les vertus font donc partie de l'histoire de l'humanité depuis des temps immémoriaux.

 

Mais Saint Thomas distingue également trois autres vertus, qu'il appelle les vertus théologales (la foi, l'espérance et la charité) ; l'ensemble formant alors les sept vertus de la religion chrétienne s'opposant aux sept pêchés capitaux.

 

 

3. Personnification des vertus

 

 

Dans les œuvres du Moyen-Âge et de la Renaissance, les vertus sont généralement représentées de façon allégorique sous les traits de femmes avec des attributs symboliques.

La prudence est associée au miroir et au serpent, la tempérance est symbolisée par deux récipients avec de l'eau passant de l'un à l'autre, la force d'âme possède généralement un glaive ou une couronne et la justice tient souvent une balance ou une épée.

Sur les porches des cathédrales au Moyen-Âge, les vertus sont souvent démontrées combattant les vices, ce qui symbolise le combat spirituel pour la recherche de la perfection de l'âme.

Par exemple, le vice qui s'oppose à la force est la faiblesse ou la lâcheté. Le contraire de la prudence c'est la sottise, la stupidité. A la tempérance, s'oppose l'avidité et l'orgueil tandis que la justice s'oppose à la tromperie et à l'usurpation.

 

 

 

 4. La fleur de vertu (fiore di vertù)

 

 

La Fleur de vertu (en italien Fiore di virtù) est un recueil de textes d'édification morale composé entre 1310 et 1323 par un certain Frère Tommaso, mais le doute persiste parmi les historiens.

En revanche, un Tommaso Gozzadini a bien vécu de 1260 à 1329 à Bologne, où il exerçait les fonctions de notaire.

 

Ce texte, rédigé en italien fortement dialectal, comporte 35 chapitres opposant successivement différents vices et vertus dans un but didactique. Chaque chapitre concerne un vice ou une vertu, associé à un animal, et se termine par un bref fabliau. L'ouvrage est inspiré notamment de textes de Gilles de Rome, de Thomas d'Aquin ou encore du « Convivio » de Dante Alighieri.

 

Le recueil a eu un grand succès, avec plus de 70 manuscrits recensés à ce jour.

Il a été traduit en de nombreuses langues. La traduction en français (184 pages) par maître François de Rohan est conservée à la BNF sous la cote « BNF, Fr.1877 ».

 

 

5. Les traités français

 

 

Inspirés par le manuscrit de Gozzadini, deux traités français voient le jour au XVème siècle: le « Traicté des vertus et des vices » (un manuscrit de 117 pages possédé par la famille de Croy) et le « Traité des vertus cardinales », qui nous intéressera davantage car plus abordable à la lecture.

 

On attribue la réalisation de ce « Traité des vertus cardinales» à François Desmoulins de Rochefort.

Né vers 1465 au sein d’une famille poitevine de hauts magistrats, il a été successivement clerc, chanoine, abbé de Saint-Mesmin, conseiller, notaire royal et enfin grand aumônier du roi Louis XII. Sa vie bien remplie s’achèvera en 1526.

 

François Desmoulins réalisera en 1510 ce « Traité des vertus », destiné à l’éducation et à l’élévation spirituelle du roi, en lui apportant les préceptes dont il devrait s'inspirer à l’avenir.

 

 

 

Conservé à la BNF sous la cote « MS Français 12247 », ce manuscrit de 55 pages richement illustré présente les quatre vertus cardinales que sont la prudence, la force, la tempérance et la justice en associant chacune d'elle à un animal : la Prudence tient un dragon ailé, la Force un lion, la Justice un échassier et la Tempérance une licorne.

 

II. Une transposition dans la pratique physique

 

A. Une preuve de la noble origine de Fiore dei Liberi

 

L'enseignement de la noblesse au Moyen-Age est divisé en deux parties : le savoir théorique et l'apprentissage martial. Dans ce premier domaine, on compte : la rhétorique, la dialectique, la grammaire, l'histoire, l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie, la musique, la poésie ainsi que les langues.

 

Les manuscrits de Fiore sont emprunts du savoir des anciens de la Grèce antique, preuve s'il en est que le maître frioulan possédait un très bon niveau de connaissance dans ces domaines. De quoi également attester de manière indéniable de sa filiation au noble lignage des Liberi de Premariacco, car seule une noble ascendance permet l'accès aux savoirs anciens et l'instruction de la noblesse.

 

 

B. Les « segni » des manuscrits

 

 

Dans trois des quatre manuscrits conservés à ce jour, Fiore emploie le terme de « segno » pour désigner les vertus, associées à un objet ainsi qu'à un animal, et regroupées autour d'un personnage entrecroisé d'épées, les « sette spade ».

Le mot italien « segno » peut se traduire par « cible » ou « schéma ». Mieux encore: « schéma des cibles » serait la définition la plus appropriée.

Les sept épées présentées ne sont pas un mystère : il s'agit des angles de coupes et des frappes définies par Fiore dans ses prologues.

La place du segno varie selon le manuscrit :

 

  • dans le Getty, le segno est placé juste avant la partie consacrée à l'armizare (combat armuré rassemblant les jeux de la demi-épée, de la hache, de la lance et du combat monté). Il constituerait ainsi une sorte de synthèse du combat parmi tout ce qui a été dit avant ; la partie à venir résultant d'un autre domaine puisque l'homme « bien armuré peut recevoir de nombreux coups (tandis que) celui qui joue (sans), une seule parade qu'il manque lui donne la mort »
  • dans le BNF, le segno est placé en tout début d'ouvrage, en guise d'introduction et/ou de page de garde après la couverture
  • dans le Pisani-Dossi, le segno est véritablement placé au milieu de l'ouvrage, juste après la lutte, la dague, l'épée maniée à 1 main et la lance, et avant l'épée longue et le combat armuré. Le sens pourrait alors être le suivant : « l'épée, mortelle contre toutes les armes » et « le combat à la barrière avec une bonne armure », peuvent être maitrisés en tenant compte des principes ci-avant résumés, vus et abordés dans les jeux précédents.

En parallèle des qualités techniques nécessaires (les « colpi » ou « angles corrects pour effectuer les coupes et les coups »), les segni de Fiore présentent des qualités physiques et mentales indispensables afin de tendre vers le parfait escrimeur ; le tout en un seul document. Et pour ne pas nuire à la clarté de l'ensemble via des textes explicatifs, il remplace les définitions de chaque qualité par un symbolisme simple : un animal et un objet.

 

Mais s'il est le premier à l'avoir introduit, Fiore n'est pas le seul à avoir créé un segno pour résumer les principes de son art :

  1. Le codex Wallerstein (1420) présente lui aussi un segno en première page
  2. Filippo di Vadi da Pisa, le successeur de Fiore au sein de la famille d'Este (qui se défend pourtant de présenter une escrime innovante par-rapport à ce qu'il appelle « l'ancien art »), va jusqu'à reprendre l'idée du segno en réalisant deux schémas pour son ouvrage (1482).

 

 

C. Des notions communes aux autres traditions

 

 1. La commune mesure : le cas Wallerstein

 

 

L’œuvre familièrement appelée « Codex Wallerstein » est une compilation de trois manuscrits fechtbuch du XVème siècle se rapportant en majeure partie aux enseignements de Joannes Lichtenaueur. Toutefois, quelques pièces présentent une similitude frappante avec certains jeux mentionnés dans l’œuvre de Fiore dei Liberi.

Lien indéniable avec les enseignements du maître frioulan, la première page du manuscrit montre un escrimeur équipé de plusieurs armes. Outre le fait de représenter l'ensemble des armes que tout chevalier de cette époque se doit de maitriser, le segno nous renseigne ici sur la vertu la plus importante : la mesure (ou précision).

 

L'iconographie médiévale est emprunte de symbolisme et une bonne observation du segno nous permet de détecter dans le dos du guerrier ... un grand compas … surmonté d'une couronne !

La figuration du compas est le symbole du savoir par la maitrise des mesures.

Il symbolise l'usage des bonnes proportions par celui qui pratique l'Art, en vue d'atteindre le geste juste.

La couronne désigne ici l'état de souveraineté dans la pratique de l'art (souverain dans l'art), le caractère inattaquable du pratiquant, ou tout simplement sa maitrise d'armes.

 

Le fait que le Codex Wallerstein symbolise le principe « Lenge und Masse » par un compas et une couronne au-dessus d'un maitre d'armes nous interpelle car ce symbolisme est également présent dans les segni des manuscrits de Fiore !

 

Chez Fiore, pour chaque segno, le maître porte la couronne et c'est le lynx qui tient le compas.

La symbolique étant : celui qui sait la distance exacte à laquelle s'effectuent les techniques lui permet de développer leur pleine exécution.

 

Dans le Wallerstein, ce principe est présenté au recto du folio 3 : « fais en sorte d'avoir portée et mesure à l'épée, ainsi pourras-tu œuvrer et te protéger à chaque fois qu'il sera nécessaire. La portée consiste à se tenir derrière son épée et à se tendre, la mesure consiste à se tenir bas comme il est montré, et fais-toi petit avec le corps, ainsi seras-tu grand à l'épée. »

 

Chez Fiore dei Liberi, la Prudentia est définie par les mots suivants : « aucune créature ne voit mieux que moi, le lynx, et ceci me met toujours à la bonne place et mesure. »

 

La première des vertus, celle au-dessus de la tête du maître, lui enjoint d'être toujours « sesto e mesura », c'est-à-dire à la bonne distance (de l'italien « sesto » : bien positionné, préparé, mis en place) pour être en mesure (« mesura ») de développer le plein potentiel d'un jeu.

 

On peut donc aisément lier les concepts germanique de « lunge und masse » et italien « sesto e mesura » et le symbolisme des vertus apparaît ici comme un facilitateur de transmission entre des escrimes pourtant de culture et de traditions différentes.

 

2. Faire du neuf avec du vieux: le cas Vadi

 

 

Contrairement à Fiore, qui parvient à synthétiser valeur et vertus en un seul segno, Vadi va réaliser deux schémas dans son « De Arte Gladiatoria Dimicandi ».

 

Un segno représente les colpi ainsi que les sette spade, l'autre est spécifiquement dédié aux vertus allégoriques.

Là où Fiore va volontairement rester discret et employer peu d'allégories, Vadi va au contraire en utiliser beaucoup (au nombre de 10 !). Il sera en outre plus direct par-rapport à la vertu enseignée par le symbole ou en lien avec celui-ci.

 

Pour le mental, Vadi utilise également la figure du compas, alliée à celle de l’œil (de là à l'expression « avoir le compas dans l’œil », il n'y a qu'un pas!).

Ce type de compas, contrairement à nos compas modernes, permettait tout d'abord de reporter une mesure. L'escrimeur doit donc être capable de mesurer correctement la distance qui le sépare de son adversaire et s'accorder au rythme du combat.

Pour simplifier, l'usage ici de l'outil de l'architecte ou du géomètre symbolise l'application dans le combat de la logique, de la raison, de la science et de la concentration.

 

Par la figuration de l’œil, Vadi semble suggérer de bien accorder le sentiment (cœur) et la vision à l'analyse. Autrement dit, se concentrer sur ce qu'il se passe tout en restant conscient de ses sentiments propres (de là à l'expression « voir avec le cœur», il n'y a qu'un pas!).

 

 

Pour les membres supérieurs, Vadi utilise le bélier, l'ours, le lévrier et le serpent.

 

Classiquement, le bélier est un symbole de force. Il est aussi l'outil qui sert à briser les portes des forteresses et peut avoir ainsi une signification offensive en apportant de la force aux coups, en plus d'aider la main dans sa fonction de levier avec le pommeau.

 

L'ours suit la même logique, en alliant à la force la puissance.

 

Le lévrier symbolise ici la noblesse (de cet art) et la rapidité. Le coup doit être rapide et la main gauche également lorsqu'elle actionne le pommeau. La notion de rapidité apparaît même cruciale dans de nombreux jeux techniques.

 

Le serpent suit la même logique, en alliant à la rapidité la tromperie (en lien avec le côté chimérique et changeant de la bête dans l'imagerie médiévale).

 

 

Pour les membres inférieurs, Vadi utilise un trousseau de clés, une forteresse, un soleil ainsi qu'une roue de moulin.

 

Pour Vadi, les jambes ouvrent l'attaque et ferment la défense, comme les clés d'une porte. Les déplacements apparaissent ainsi comme étant les clés du combat.

 

Nul besoin de revenir sur l'allégorie de la forteresse, reprise de l'image qu'en a précédemment fait Fiore dans ses segni.

 

Comme le soleil, qui revient toujours vers là où il apparaît, les déplacements sont également le fait d'un transfert de poids qui permet d'accompagner le mouvement sans forcément avoir bougé de la position initiale (notions d'accressere/discressere).

 

La roue du moulin enfin, est celle qui transmet la force naturelle (de l'eau ou du vent) à la pierre qui mout le grain de blé pour faire la farine. Il y a là une portée symbolique assez grande, eu égard à l'importance de cet instrument dans la vie de tous les jours au Moyen-Age.

Tout comme le compas, la symbolique de la roue du moulin se retrouve d'ailleurs un peu partout dans l'imagerie médiévale.

 

D. Omniprésence des vertus dans la culture européenne d'une époque

 

Antonius Rast, maître d'armes allemand du XVIème siècle, fait mention des vertus et de la juste mesure dans le préambule de son manuscrit en ces termes: « quiconque veut s'engager dans l'art chevaleresque du combat, qu'il se défende en respectant la Mesure, que ce soit à la lutte, au combat monté ou à pied : cedit combattant doit avoir fait sienne cette nécessité ».

 

En 1634, le sieur de la Fresnaye, mestre en faict d'armes de la ville de Paris, indique : « je considère qu'entre toutes les actions humaines et bien réglées, le jugement et la prudence en tiennent indubitablement le gouvernail et que cette vertu sans contredit est la reine des autres. Je ne dois point faillir de lui donner le premier lieu dans la conduite de cet art ».

 

Ce qui fait indubitablement penser aux dires de Fiore deux siècles auparavant: « si la pratique des armes t'enchante, mon ami, apprends : tu as tout ce que ce poème montre. Sois un homme courageux et n'aies pas l'âme d'un vieillard ni un esprit timoré. Tu peux y parvenir. L'échec est total si le cœur manque de courage. Courage et vertu, voici en quoi consiste l'art. »

 

A noter que la notion de Prudentia se retrouve dans bon nombre d’œuvres tout au long de la Renaissance et après, que ce soit en sculpture ou en peinture.

Les corporations d'architectes et de sculpteurs n'ont de cesse de reprendre la symbolique du compas comme signe de la maîtrise d'un savoir fait de juste mesure.

CONCLUSION

Que retenir de tout cela ?

 

Tout simplement que même si elles ont été quelque peu oubliées dans notre société moderne, les vertus cardinales ne sont pas obsolètes mais plutôt consubstantielles à la nature humaine.

 

Aristote dit d’ailleurs que l’on trouve chez les enfants une disposition naturelle aux vertus. Ainsi, en découvrant, en pratiquant et en cultivant les quatre vertus cardinales, nous pouvons réaliser notre vocation à accomplir le bien en toutes choses.

 

En ayant l'idée géniale de transposer les vertus morales de son époque en vertus martiales, Fiore prouve trois choses :

  1. il consacre son savoir en tant qu'Art à part entière, s'inscrivant dans la tradition chevaleresque d'une éthique juste et technique, propre à former de bons chrétiens et à façonner de nobles âmes au service de Dieu et du Bien.
  2. il conceptualise la notion de temps et de mouvement (tempo) à une époque où ces deux notions restent relativement abstraites, afin de faire pré-figurer sur le papier une dynamique physique de rythme, qui sera définie et expliquée par les maîtres ultérieurs.
  3. il invite à remplacer nos réactions instinctives animales par un art maîtrisé de l'épée, que les maîtres ultérieurs transformeront en science.

Bibliographie

 

  • « Flos Duellatorum », Fiore Dei Liberi, Codex LXXXIV; Codex CX; MS M.383; MS Ludwig.XV.13; Pisani Dossi MS;MS Latin.11269.

     

  • « De Arte Gladiatoria Dimicandi » MS.1324, Philippo Vadi, rédaction entre 1482 et 1487, Urbino, Biblioteca Nazionale Roma.

     

  • « De Arte Gladiatoria Dimicandi analysis », from Luca Porzio, Grégory Mele, The Chivalry Bookshelf, 2001-2002.

     

  • « Veni, Vadi, Vici », from Guy Windsor, Google Books, Helsinki, 2012.

     

  • "L’épée longue de Fiore », par Benjamin Conan pour De Taille et d’Estoc.

     

  • "L’épée longue de Vadi, l’intégrale », par Gautier Petit pour l’Ost du Griffon Noir, 2013.

     

  • « Dictionnaire des Symboles, tomes 1 à 4 », par Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Seghers, Paris, 1969.

     

  • Article sur l’école médiévale, par Danièle Alexandre-Bidon, paru dans Historia spécial « Moyen-âge inventeur » n°7, Septembre-Octobre 2012.

     

  • Article sur Le Saint Lévrier, par Philippe Joutard, paru dans l’Histoire Collections n°36 « Héros et merveilles du Moyen-âge », Juillet-Septembre 2007.

     

  • Article « L’orient nourrit l’imaginaire », par Xavier Hélary, paru dans Historia Spécial n°132 « Le Moyen-âge Enchanteur », Juillet-Août 2011.

     

  • « L’Ours », Michel Pastoureau, Editions du Seuil, Collection Points, Paris, Janvier 2007.

     

  • Série d’articles sur la contextualisation des sources avec Vadi pour exemple, sur Le Blog OGN (partie 1, partie 2, partie 3).

     

  • « Surprenant Moyen-Age », de Didier Chirat, édition Larousse, 2020.

     

  • « Ethique à Nicomaque », Aristote, édition Vrin, 2001.

     

  • « La psychologie de Platon », PUF, Paris, 1973, édition Bres.

     

  • « Comment améliorer son interprétatif en AMHE », conférence du GO 2021 menée à Dinan par Fabien Bellaird, de l’association AMHE du Maine. Un grand merci à lui pour la qualité de ses travaux.

     

  • Travaux de Pierre-Alexandre Chaize via son blog « Carrousel des AMHE ». Un grand merci à lui.

 

Iconographie

 

- https://www.alamyimages.fr/l-auteur-avec-les-vertus-la-fleur-des-histoires-france-vers-1467-ensemble-folio-page-d-ouverture-d-un-traite-sur-les-vertus-l-auteur-assis-a-table-avec-un-livre-ouvert-avec-les-quatre-vertus-cardinales-dans-la-forme-feminine-debout-a-cote-de-lui-la-justice-tenant-une-epee-et-une-balance-courage-tenant-un-miroir-avec-la-prudence-et-la-temperance-texte-frontieres-avec-decoration-foliee-image-realisee-a-partir-la-fleur-des-histoires-publie-a-l-origine-produit-en-france-vers-1467-source-ajouter-6797-f276-langue-francais-image226990303.html

 

- http://andreetgyps.centerblog.net/6654-les-vertus-cardinales

 

 

Webographie

 

- https://www.attitudegentleman.fr/pratiquer-les-vertus-cardinales-pour-se-perfectionner-a-l-ecole-des-anciens/

- https://nousblogue.ca/les-vertus-cardinales/

- https://enluminures.fr/portfolio/les-vertus-cardinales/

- https://lecarousseldesamhe.wordpress.com/2013/09/24/sword-in-two-hands-de-brian-r-price/

- https://fr.wikipedia.org/wiki/Vertu_cardinale

- https://fr.wikipedia.org/wiki/Fleur_de_vertu